Anticiper la réglementation sur la sobriété numérique dans la conception des produits digitaux

Le 4 avril, paraît la troisième partie du sixième rapport du GIEC. Il est sans équivoque : le changement climatique représente une menace sans précédent pour le bien-être des humains et l’avenir de la planète. La transition écologique devient la seule trajectoire possible de ces prochaines années.

Avec 6% de croissance par an, la part du numérique dans les émissions mondiales de gaz à effet de serre s’élève à 3,5% et risque encore de doubler d’ici 2025. Le numérique peut tout autant augmenter notre empreinte écologique, que nous apporter les opportunités de la réduire et d’accélérer la transition. Il faudrait que nous considérions la transition numérique comme l’une des grandes forces transformatrices de notre époque.

Aussi, le Sénat a-t-il promulgué, le 15 novembre 2021, une nouvelle loi visant à faire converger transition écologique et transition numérique : la loi REEN (Réduction de l’Empreinte Environnementale du Numérique). Elle vise à responsabiliser tous les acteurs du numérique, consommateurs, professionnels du numérique, secteur public. Chacun a son rôle à jouer, en commençant par éco-concevoir les services numériques.


La loi REEN en quelques grandes lignes

La loi REEN poursuit un objectif de sensibilisation, en formant à la sobriété numérique à l’école ainsi qu’à l’université, et en prévoyant un module dédié à l’éco-conception dans les formations d’ingénieur en informatique, dès 2022. Elle promeut également une stratégie responsable dans les territoires.

Et du côté des services numériques ? La loi œuvre à favoriser des usages numériques écologiquement vertueux : elle comporte notamment un référentiel général d’écoconception des services numériques (RGESN), fixant des critères de conception durable des sites web à partir de 2024. Un amendement voté par le Sénat impose dès 2022, aux sites de vidéos à la demande, d’informer les utilisateurs des émissions de gaz à effet de serre associées au visionnage d’une vidéo. Cette mesure a finalement été remplacée par la publication d’une recommandation par le CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel).

Même si cette loi paraît timide sur la mise en place d’actions concrètes, tout laisse à penser qu’elle reste la première étape d’une longue série de plus en plus contraignante. Et si nous n’attendions pas d’être légalement contraints pour commencer à agir ?

Imaginons : un affichage « Eco Index » pour chaque site internet

Pour prendre conscience de son impact numérique et apprendre à le maîtriser, il faut déjà être capable de le mesurer et de le transposer en exemples parlants à tous.

Plusieurs entreprises du secteur privé commencent à prendre les devants, en choisissant d’afficher l’empreinte écologique de leur service numérique aux utilisateurs. SFR prend le parti d’afficher l’empreinte carbone de ses clients selon leur utilisation de son service numérique afin de les sensibiliser. Directement concernées, les entreprises du secteur de l’énergie sont bien souvent sensibles à ces enjeux environnementaux, et donc pionniers dans la conception de leur devanture numérique. Dalkia, filière d’EDF, choisit d’indiquer une note EcoIndex calculant et affichant l’empreinte environnementale de chaque page de son site vitrine.

 

Au même titre que le nutri-score pour nos aliments, ou bien des étiquettes DPE sur nos machines à laver, réfrigérateurs ou autres produits électroménagers, les consommateurs pourront choisir de se tourner vers des sites plus vertueux, moins énergivores. Nous pouvons imaginer qu’un jour les algorithmes des moteurs de recherche, tel que Google, classeront les sites à impact bas carbone en meilleure position !

Démarche d'éco-conception, comment et par où commencer ?

Contrairement à une démarche traditionnelle basée sur l’efficacité, l’écoconception est une démarche d’efficience. Alors que l’efficacité consiste à atteindre un objectif quelle que soit le nombre de moyens mis en place, l’efficience vise à dépenser le moins de ressources possible pour parvenir à un objectif de qualité équivalent. L’idée n’est plus d’obtenir des performances élevées par une débauche de moyens. Par exemple, au lieu de multiplier le nombre de serveurs ou la quantité de mémoire vive pour faire tourner une application, optimiser la performance du service dès sa conception, afin de réduire son empreinte matérielle. Tout comme l’accessibilité, la sécurité ou même le SEO, l’éco-conception se pense dès la genèse du projet.  

Pour y parvenir, cette démarche doit se faire de manière transversale, elle intervient à chaque étape de cycle de vie du service informatique : expression du besoin, conception fonctionnelle, maquettage, conception graphique, conception technique, développement, hébergement, maintenance. Cette méthodologie demande de collaborer avec tous les corps de métiers.

Chez SQLI, j’ai eu l’occasion de proposer cette démarche dans le cadre d’un appel d’offre pour la création d’une plateforme digitale éco-citoyenne. En m’appuyant sur le livre Eco-conception Web / 115 bonnes pratiques de Frédéric Bordage, j’ai collaboré avec un UX Designer et un Architecte pour sélectionner ensemble les actions à mettre en place tout au long de notre réponse, afin d’optimiser au maximum le poids de la plateforme conçue.

Voici certaines des bonnes pratiques :

  • Partie Conception : éliminer les fonctionnalités non essentielles. Lors de la conception, il est primordial de réduire la couverture fonctionnelle de l’application en la recentrant sur le besoin essentiel de l’utilisateur. En effet plusieurs études démontrent que 70% des fonctionnalités demandées par les utilisateurs ne sont pas essentielles et que 45% ne sont jamais utilisées (Cat Software & Standish Group). Vous abaissez ainsi le coût de production initial, la dette technique, l’infrastructure nécessaire à l’exécution, et par conséquence les impacts environnementaux associés. Prenons l’exemple de l’interface Google versus Yahoo!, je vous laisse deviner laquelle est la plus légère à télécharger et qui a connait le plus grand succès…
     
  • Partie UX : favoriser les polices standards. Il est primordial de réduire le nombre de polices sur le site et d’éviter les polices sous licence (type Adobe), car elles peuvent ajouter des requêtes. Lors de cet appel d’offre, nous avons privilégié la font « Inter » qui sera la seule police utilisée sur tout le site. Nous économisons ainsi de la bande passante, tout en accélérant l’affichage du site.      
     
  • Partie Contenu : alléger le poids des images. Utiliser le bon format d’image : WEBP, par exemple, est 30% plus léger que le format .jpg, et AVIF, 50% plus léger que le WEBP. Le nombre de couleurs impacte aussi le poids des images : le noir diminue la quantité d’énergie que consomme un écran LED (par ailleurs, opter pour le dark mode ou mode sombre, améliore le confort des internautes, mais agit aussi sur le bilan énergétique !). La couleur bleu consomme plus que le rouge ou le vert. Pour notre réponse, nous avons fait le choix de travailler les images en bichromie.           
     
  • Partie Code Client : éviter les animations JavaScript/CSS coûteuses. Ces animations se révèlent très coûteuses en termes de cycles CPU (Central Processing Unit) et de consommation mémoire. Evitez au maximum les animations, et si ce n’est pas possible, utilisez de préférence les propriétés d’animation CSS3. De plus, afin que le navigateur puisse réduire au minimum les ressources consommées par l’animation, prévenez qu’une animation se produira avec la propriété CSS “will-change“. 
     
  • Partie Code Serveur : redimensionner les images en dehors du CMS. Cette mesure économise beaucoup de bande passante, elle soulage les processeurs et la mémoire vive. Un serveur n’est pas optimiser pour retraiter les images.    
     
  • Partie Hébergement : choisir un hébergeur « vert ». Certains hébergeur proposent un service de serveurs économes qui tournent sur des énergies renouvelables ou compensent leur gaz à effet de serre, comme Aiso et Infomaniak.  

 

De cet article, retenons deux points essentiels : n’attendons pas l’arrivée de futures réglementations avant de normaliser l’éco-conception, ces bonnes pratiques doivent dès maintenant animer les démarches digitales. Et plus l’on intervient tôt dans le cycle de conception du projet, dès l’expression du besoin, de la conception fonctionnelle et technique, du maquettage, plus la réduction de l’impact environnemental sera forte et facile à mettre en place !

J’ajouterai que moins en faire, ne rime pas avec mal faire. Pour réussir la transition numérique, cassons les préjugés : l’éco-conception n’est pas incompatible avec un résultat esthétique comme performant, ni avec une bonne expérience utilisateur. L’éco-conception ne doit pas être vécue comme une contrainte, un frein ou une complexité. Au contraire, la sobriété vous apportera des solutions à bien des niveaux.