Avec l’émergence de la vente directe (D2C) en Asie, les marques reprennent le contrôle

La vente directe, ou D2C (Direct-to-Consumer), est un canal en pleine croissance en Asie et dans le reste du monde. Les marques se retrouvant de plus en plus dépendantes de marketplaces telles qu’Alibaba en Chine, le D2C est devenu un enjeu stratégique pour reprendre le contrôle de leur relation client et de leurs données.  

La vente directe pour contrecarrer le marché gris

Passer à la vente directe n’est pas une tâche facile pour les marques dans des marchés traditionnellement dominés par les intermédiaires, considérés comme plus fiables. La Chine a popularisé le recours aux « daigou », des intermédiaires de confiance chargés d’acheter des produits de marques à l’étranger, contournant ainsi les frais de douane. 80% des produits de marques comme Unilever, Samsung ou L’Oréal vendues sur des marketplaces en Asie du Sud-Est étaient vendues par des intermédiaires non autorisés sur le “marché gris” en 2018, à un prix généralement 30% plus bas que sur les sites officiels[1]. Ces ventes ont un impact négatif pour l’image de marque, les notes des consommateurs sur ces plateformes étant de 24% plus basses que les mêmes produits sur les sites officiels. Un renforcement de la réglementation au cours des dernières années tend à limiter ces pratiques, et devrait renforcer le D2C. Par exemple, une nouvelle loi de 2019 oblige désormais les daigou à obtenir une licence officielle et à payer des taxes.  

Les marketplaces, catalyseurs ou menaces pour la vente directe ?

Les marketplaces asiatiques telles qu’Alibaba ou Lazada ont pris le contrôle de l’e-commerce en Asie, à l’image d’Amazon en Occident. Ces nouveaux intermédiaires digitaux ont une emprise croissante sur les marques. Outre les frais d’enregistrement sur ces plateformes pouvant aller jusqu’à 8000 dollars par an, Tmall, la plateforme d’Alibaba, et son concurrent JD.com prennent des commissions d’environ 6% sur les ventes réalisées sur leurs plateformes. Même les plateformes sociales, comme WeChat, deviennent menaçantes pour les marques qui dépendent de plus en plus de la publicité payante sur ce canal.

Mais le vrai nerf de la guerre sont les données ; en vendant sur ces plateformes tierces, les marques limitent leur accès aux données. Alibaba commercialise déjà ces données avec un service spécifique de conseil en développement de nouveaux produits, sous le nom de Tmall Innovation Center qui collabora avec des marques comme Unilever, Samsung, Mars, L’Oréal ou Mattel. Les produits recommandés par le centre d’innovation sont ensuite exclusivement vendus sur la plateforme Tmall pour une période initiale de deux mois.

 

JD.com offre le même type de service qu’il appelle « Consumer-to-Manufacturer » (C2M) dont des marques comme Huggies et Head & Shoulders sont clientes. D’après des chiffres de JD.com, les ventes de ces marques ont considérablement augmenté à la suite de ses recommandations. Sur la base de ses données de ventes et des requêtes effectuées sur sa plateforme, JD.com a noté une popularité croissante des marques de langes pour bébé chinoises qui utilisent des matériaux composites. Huggies a ainsi lancé une nouvelle gamme de produits basés sur les mêmes matériaux. Depuis, les ventes de cette gamme comptent pour plus de 62% des ventes de la marque sur la plateforme.  

Quatre success stories marquantes

Nike

La vente directe de Nike au niveau mondial a progressé de +142% entre 2015 et 2020, la marque ayant pour objectif pour ce canal d’atteindre les 16 milliards de dollars en 2020[2]. La marque a réduit le nombre de ses contrats avec des distributeurs tiers et investi dans son application mobile et sa relation client. Par exemple, l’application mobile propose « Nike By You », un service de personnalisation des produits. Nike a ainsi pu accroître le canal de vente avec succès : rien qu’en 2018, le D2C comptait pour 40% de ses ventes en Chine.

Par ailleurs, pouvant désormais s’appuyer sur ses propres données de ventes, Nike a davantage investi dans la data science avec l’acquisition de la start-up d’analyse prédictive Celect en 2019, lui permettant d’optimiser son inventaire. Grâce à sa forte relation client, la marque a réussi à minimiser les pertes liées à la fermeture de ses magasins lors de la crise du Covid-19 en Chine. Alors qu’elle annonçait un ralentissement de sa croissance de 5%, les ventes directes en ligne ont connu une hausse de 36%. Cette croissance est en partie due à son autre application mobile, Nike Training Club. La marque a offert gratuitement la version premium de son application offrant des entraînements sportifs virtuels, et enregistré une augmentation de son utilisation de 80%. 

 

 

 

L’application mobile de Nike en Chine

 

Xiaomi

La marque de smartphones et appareils connectés chinoise Xiaomi, souvent comparée à Apple, a construit son empire autour d’un modèle D2C.  Xiaomi a démarré avec une stratégie de vente en ligne sur sa propre plateforme, pour ensuite ouvrir ses boutiques offline. Mi.com est notamment aujourd’hui la troisième plateforme en ligne pour la vente de smartphones en Inde derrière les plateformes e-commerce Flipkart et Amazon[3].

 

 

 

 

Perfect Diary

Perfect Diary est une des marques D2C les plus innovantes de Chine, valorisée à plus d’un milliard de dollars. Positionnée dans le secteur cosmétique depuis 2016, la marque a su s’implanter pour devenir en 2019 la troisième marque la plus vendue après MAC et Maybelline.

Derrière cette prouesse, une stratégie de vente directe via des groupes privés sur la plateforme WeChat. Ces groupes sont gérés par des influenceuses virtuelles qui se posent en conseillères et amies des utilisatrices. Cette stratégie a permis à la marque de communiquer directement avec les consommateurs, sans devoir payer de commissions à des intermédiaires.  La marque est récemment passée au phygital et compte désormais étendre le nombre de ses boutiques physiques de 40 à 300 en Chine. 

 

 

 

L’influenceuse virtuelle de la marque de cosmétique chinoise Perfect Diary. Source : JingDialy

 

Love Bonito

En Asie du Sud-Est, la marque de mode originaire de Singapour Love Bonito et est devenue la marque la plus intégrée verticalement en Asie du Sud-Est. A l’origine, le blog proposait la vente de vêtements achetés en Thaïlande et en Corée du Sud. Face à son succès, les trois fondatrices ont rapidement décidé de produire et de vendre leurs propres créations via leur blog Bonito Chico, renommé Forefront, hébergé sur la plateforme LiveJournal. En 2017, le chiffre d’affaires annuel avait progressé de 85% quand ses dépenses marketing représentaient seulement 10% du chiffre d’affaires[4]

 

 

 

Forefront, le blog de la marque

Le succès des marques ayant recours à la vente directe en Asie repose principalement sur leur capacité à s’appuyer sur les réseaux sociaux, des contenus de qualité et des services additionnels et personnalisés proposés sur leurs propres canaux pour créer une relation client privilégiée. L’analyse de ces données pour optimiser leur offre est également un facteur de réussite. Devenu une évidence pour les nouveaux entrants, le D2C reste un challenge pour des marques plus traditionnelles.

La vente directe est pourtant un canal de distribution en pleine croissance en Chine et dans le monde. Gagner en indépendance face aux intermédiaires offline ou aux marketplaces semble permettre aux marques de mieux comprendre le consommateur grâce au contrôle des données, de lancer de nouveaux produits adaptés à l’évolution de la demande, de renforcer la relation client, mais également de réduire les coûts de distribution tout en gardant le contrôle de leur réputation.  

[1] https://www.acommerce.asia/ecommerce-trends-2018/

[2] https://medium.com/gobeyond-ai/is-southeast-asia-ready-to-embrace-the-direct-to-consumer-trend-a0a82b35911a

[3] https://beebom.com/mi-com-is-indias-3rd-largest-e-commerce-platform-in-terms-of-smartphone-sales/

[4] https://insideretail.asia/2018/02/05/love-bonito-raises-extra-us13-billion-funding/