Facebook Shops : à temps ou déjà trop tard ?

Dans un communiqué de presse du 19 mai dernier, Facebook a présenté en détail l’avenir du commerce sur les plateformes Facebook, Instagram, WhatsApp et Facebook Messenger.

À peine prononcé, le terme « Facebook Shops » a été activement partagé sur les réseaux sociaux, sans que personne ne semble étrangement avoir d’avis sur la question. Un peu comme s’il s’agissait d’une annonce encore floue. Le fait est que la réalité est assez peu flatteuse pour Facebook sur un point : en 2020, les professionnels du e-commerce ne voient pas vraiment comment utiliser Facebook autrement que comme une plateforme publicitaire.

Bien entendu, nous avons tous des comptes Facebook, comme la plupart de nos clients d’ailleurs. Mais beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis l’époque où Facebook était l’endroit incontournable où tous nos amis et connaissances venaient écouter ce que l’on avait à dire. Nous devenons davantage lecteurs que rédacteurs. Les milliards de personnes présentes sur Facebook et l’algorithme Edge Rank, mis au point pour les gérer, ont engendré un environnement saturé où les contenus des marques et des pages réduisent à néant toute possibilité d’échange spontané au profit de flux d’infos et de contenus sponsorisés. Et cette situation ne risque-t-elle pas de s’aggraver si l’on vient y ajouter de nouveaux produits et de nouvelles fonctionnalités publicitaires ?

Facebook “version 2020”

Aujourd’hui, Facebook n’est plus tant un réseau social qu’une plateforme de publicité et d’influenceurs. Sans oublier que Facebook est aujourd’hui un conglomérat de multiples services allant d’autres réseaux sociaux comme Instagram aux services de messagerie instantanée comme Facebook Messenger et WhatsApp. Chose inédite, la marque s’est récemment lancée dans une action de rebranding gigantesque dans le but de réunifier son empire tentaculaire. Car Facebook est aujourd'hui devenu l’un des plus grands CRM du monde.

La richesse de Facebook, ce sont les gens. Un marché potentiel de vente immense. Et une source de revenus qui a été brillamment exploitée au fil des ans grâce aux fonctionnalités publicitaires. Mais la récente baisse de l’activité et de la fidélité des utilisateurs, associée aux attentes toujours plus exigeantes du marché boursier, ont contraint l’entreprise à envisager de nouvelles opportunités de revenus. C’est là que Facebook Shops entre en jeu.

Et donc, qu’est-ce que Facebook Shops offre de nouveau ?

À vrai dire, rien de bien neuf. En effet, Facebook avait déjà intégré des fonctions similaires pour les entreprises dès 2015 et Instagram Shopping existe depuis 2017 (la fonction Checkout depuis 2019). Mais ces services n’étaient destinés qu’à une poignée de géants comme Nike, H&M, Adidas ou encore Prada. En plus de la diffusion sur d’autres plateformes qu’Instagram, le communiqué de presse de Facebook met en évidence le nouveau groupe cible du produit : les petits acteurs montants du e-commerce. Facebook Shops est presque vendu comme une alternative à Etsy plutôt que comme un nouvel entonnoir de conversion pour les plus grandes marques du monde. Autrement dit, c’est un changement de stratégie à 180 degrés qu’opère Facebook.

Un coup de pouce désintéressé ?

Facebook Shops serait également une main tendue aux petites entreprises qui souffrent de l’actuelle pandémie de COVID-19. Une stratégie marketing bien pratique. Instagram Shopping n’était que la première étape de la feuille de route e-commerce présentée par Mark Zuckerberg. La survenue de la pandémie n’est que pure coïncidence.

 

Comme l’a souligné le Wall Street Journal, la plateforme Etsy destinée aux petites entreprises a doublé ses revenus au cours des trois dernières années. Et à force de se développer, les utilisateurs de la plateforme ne sont en définitive plus si petits que ça. Bref, une stratégie véritablement évolutive qui permet de générer des revenus au fil du temps plutôt que de créer un entonnoir de conversion de plus pour les géants du commerce mondial. Certes, Instagram Shopping a encore du chemin à faire pour s’imposer auprès des petits acteurs du e-commerce, mais le potentiel semble être là.

En effet, dans une enquête réalisée en 2019, Facebook a découvert que 54 % des personnes interrogées avaient acheté un produit après l’avoir vu sur Instagram. C’est précisément ce potentiel que Facebook entend aujourd'hui exploiter. Un potentiel qui ne se limite manifestement pas aux seuls géants du commerce mondial ni à un seul instrument du portefeuille Facebook.

Enfin une expérience shopping cohérente ?

Cela fait maintenant un moment qu’Instagram Shopping existe, et nos vies n’ont pas été révolutionnées pour autant. C’est un service pratique mais son impact reste encore modeste. Chose intéressante : Facebook va finalement mettre l’ensemble de ses services à contribution. En plus de mettre à disposition son immense base d’utilisateurs à des fins commerciales, Facebook puisera également dans les possibilités (jusqu’à présent) inexploitées de WhatsApp.

Contrairement aux autres services de la famille, WhatsApp est encore en pleine croissance avec plus de 2 milliards d’utilisateurs en 2020. La durée moyenne passée sur la plateforme étant de 195 minutes par semaine, les possibilités d’atteindre de nouveaux publics sont énormes. On s’est longtemps demandé ce que Facebook avait dans les cartons pour WhatsApp.

L’application est passée dans le giron de Facebook en 2014 et bon nombre d’entre nous espérions que le service soit fusionné avec Facebook Messenger ou tout du moins intégré dans l’outil de messagerie instantanée.

L’annonce faite la semaine dernière semble finalement le confirmer. Les nouvelles fonctionnalités d’achat seront disponibles sur toutes les plateformes et apporteront ainsi peut-être les USP décisives nécessaires à Facebook pour enfin réussir à s’imposer sur le marché du e-commerce. Autre élément intriguant : la promesse d’une « parfaite » intégration de quelques-unes des plus grandes plateformes de e-commerce, à commencer par Shopify+ qui gagne rapidement du terrain.

Alors, Facebook est-il encore dans les temps ou est-ce déjà trop tard ?

Plus largement, le véritable débat est celui du timing. En soi, les nouvelles fonctionnalités sont très prometteuses. Mais ces dernières années, les exemples de FAANG (Facebook, Amazon, Apple, Netflix et Google) essayant de marcher sur les plates-bandes du voisin ne manquent pas. Et rares sont ceux qui se sont soldés par un succès. Alors qu’Amazon, Google et Facebook convergent tous sur le marché du e-commerce, tous se bousculent dans leurs retranchements mutuels en révolutionnant par là même les habitudes du consommateur moderne.

Est-il trop tard pour établir un nouveau grand marketplace mondial ? Ou Facebook a-t-il fini par trouver la clé du dit « social commerce », un secteur où l’entreprise pourrait bien occuper la place de leader absolu compte tenu de sa base d’utilisateurs ? Tout va dépendre des habitudes des utilisateurs. Apparemment, Facebook a enfin compris que pour faire décoller un service comme celui-là, un bouton Acheter ne pouvait pas être l’exclusivité d’une élite de marques.

Ce n’est que lorsqu’un service est intégré par le plus grand nombre qu’il rentre dans le quotidien et les habitudes des gens. Une chose est sûre : il faut une bonne dose de conviction pour marquer de son empreinte ce marché où la concurrence grouille. Facebook va très vite se rendre compte (si ce n’est pas déjà fait) que cette course est un marathon, pas un 100 mètres.

Publié dans LSA